Des villas luxueuses, des avions privés, un zoo rempli d’animaux exotiques… Après la chute de Yahya Jammeh en 2017, l’État gambien a saisi son immense patrimoine. Cependant, il a revendu ces biens dans des conditions opaques. Bien que les autorités estiment la fortune de l’ex-dictateur à un milliard de dollars, elles n’ont officiellement récupéré que 23 millions. Pendant ce temps, les victimes du régime attendent toujours justice et réparation.
Des ventes opaques, au profit de proches du pouvoir
Dans un premier temps, les autorités ont promis de liquider ces biens au bénéfice du Trésor public et des victimes. Pourtant, selon une enquête publiée en mai par le journaliste Mustapha K. Darboe, elles ont organisé ces ventes sans transparence. Pire encore, des membres du gouvernement et des hommes d’affaires proches du pouvoir ont profité directement de ces opérations.
« Dans plusieurs cas, les mêmes individus ont supervisé les ventes et acheté les biens », affirme Mustapha Darboe. « Ce qui s’est passé relève d’un véritable pillage maquillé en procédure officielle. »
Des prix sacrifiés, un patrimoine volatilisé
Par ailleurs, les autorités ont cédé les biens à des prix dérisoires. Par exemple, un 4×4 Hummer, estimé à 20 000 dollars, a été vendu pour à peine 400 dollars. D’autres véhicules, valant 5 000 dollars, sont partis pour une centaine.
En outre, une partie importante du cheptel a purement disparu. À Kanilai, village natal de Yahya Jammeh, où se trouvait une réserve abritant zèbres, hyènes, autruches et bétail rare, aucune trace n’a été retrouvée. « L’État n’a même pas pris la peine d’enregistrer les acheteurs », dénonce Mustapha Darboe. « Pourtant, Kanilai reste l’une des zones les plus militarisées du pays. Comment l’État peut-il affirmer qu’il a perdu le contrôle ? »
Des victimes toujours oubliées
Parallèlement, les victimes du régime de Jammeh attendent toujours les indemnisations promises. Alors que les ventes étaient censées alimenter un fonds d’indemnisation, la grande majorité des recettes s’est évaporée. « Si tout a été dilapidé, que restera-t-il aux victimes ? », s’indigne Mustapha Darboe. À ce jour, seuls 23 millions de dollars ont officiellement été versés à l’État.
Une mobilisation populaire en réaction
Face à ce scandale, la société civile a réagi. À Banjul, une grande manifestation a réuni citoyens et militants sous la bannière du mouvement « Gambians Against Looted Assets ». Ce soulèvement a contraint le gouvernement à publier une partie des rapports de vente. En même temps, cette mobilisation a protégé le journaliste, menacé pour ses révélations.
« Lorsque les jeunes sont descendus dans la rue, le gouvernement a paniqué », raconte Darboe. « Il a perdu le contrôle du récit. À ce moment-là, il ne pouvait plus mentir, ni agir en toute impunité. »
Une enquête sous tension, à l’approche de la présidentielle
Finalement, le Parlement a lancé une enquête pour identifier les bénéficiaires des ventes. Néanmoins, Mustapha Darboe redoute déjà des pressions politiques. « Dès que les investigations toucheront des figures influentes, certains chercheront à freiner le processus », prévient-il.
Les conclusions de l’enquête sont attendues en 2026, à quelques mois d’une élection présidentielle cruciale pour l’avenir du pays.