Au Sénégal, l’intelligence artificielle révolutionne peu à peu le journalisme. De la transcription d’interviews à la génération de contenus, plusieurs rédactions expérimentent l’IA. Si les gains sont réels, des inquiétudes subsistent. Éthique, emploi, qualité de l’information : les professionnels appellent à une régulation claire et une formation adaptée.
Une technologie désormais ancrée dans le quotidien des rédactions
Assistants vocaux, filtres intelligents, IA générative… L’intelligence artificielle se glisse dans tous les secteurs. Les médias sénégalais n’y échappent pas. Ibrahima Lissa Faye, fondateur de PressAfrik, fait figure de pionnier.
« Nous utilisons l’IA pour retranscrire les interviews. Cela nous fait gagner un temps précieux », confie-t-il.
Grâce à des outils comme ChatGPT, son équipe optimise aussi le référencement. L’IA détecte les bons mots-clés pour améliorer la visibilité sur les moteurs de recherche.
Au Soleil, la jeune génération mène la révolution numérique
Le quotidien national Le Soleil, vieux de 55 ans, s’adapte aussi. Il s’appuie sur ses jeunes journalistes pour intégrer l’IA.
Cheikh Tidiane, datajournaliste, a généré des bases de données et des graphiques en un temps record. Arame Ndiaye utilise Turboscribe pour la transcription, puis une IA pour reformuler ses textes.
L’IA devient un assistant précieux, mais reste un outil. « Nous gardons la main sur le contenu final », soulignent les journalistes.
Des usages encore limités, mais des perspectives larges
Le Dr Mamadou Diouma Diallo, enseignant-chercheur, observe une adoption encore timide.
« L’IA fascine autant qu’elle inquiète. Certains journalistes craignent de perdre leur identité professionnelle », analyse-t-il.
Outre la rédaction, l’IA s’invite aussi dans la production audiovisuelle. Le clip Thiaroye 44 de Dip Doundou Guiss a été réalisé intégralement avec de l’IA. Il a été primé en France, grâce au travail du réalisateur Hussein Dembel Sow.
IA, automatisation et risque pour l’emploi
Dans certaines rédactions, l’IA remplace déjà plusieurs postes.
« Les secrétaires de rédaction disparaissent peu à peu », alerte Ibrahima Lissa Faye. Hussein Dembel Sow nuance : les métiers créatifs résistent mieux à l’automatisation.
Mais une autre crainte plane : celle d’un appauvrissement cognitif.
« L’IA peut rendre le journaliste paresseux », prévient Lissa Faye. Le Dr Diallo insiste : « La légitimité du journaliste réside dans sa capacité à enquêter. L’IA ne peut remplacer ce rôle. »
Encadrer l’IA pour préserver l’éthique et la qualité de l’info
Pour éviter les dérives, la Convention des jeunes reporters du Sénégal appelle à un usage responsable de l’IA. Lors d’un panel, les intervenants ont insisté sur la transparence.
Mentionner l’usage de l’IA devient une exigence éthique.
Abdou Khadr Seck propose trois niveaux de risque :
- Faible (corrections, vérification)
- Modéré (avec mention au public)
- Élevé (contenu 100% généré, à proscrire)
Une régulation encore en chantier, mais des efforts en cours
Le Conseil pour l’Observation des Règles d’Éthique et de Déontologie dans les médias prévoit d’intégrer l’IA dans les chartes de la profession.
« Il faut briser le tabou. Soyons transparents sur ce que l’IA fait et ne fait pas », soutient le Dr Diallo.
Le Sénégal a adopté une stratégie nationale sur l’IA. Une IA souveraine, adaptée aux réalités culturelles, reste un objectif.
« Nous devons développer nos propres outils IA, africains et locaux », souligne Aissatou Jeanne Ndiaye, directrice des TIC au ministère.
Former les journalistes pour ne pas subir la révolution
Le CESTI a déjà intégré l’IA dans ses modules de formation. Une démarche saluée par les experts.
« Le journaliste de demain devra savoir utiliser l’IA intelligemment, sans renoncer à son esprit critique », conclut le Dr Diallo.
