Président du Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de Presse du Sénégal (CDEPS), Mamadou Ibra Kane alerte sur une dérive autoritaire dans la gestion des médias. Malgré une progression du Sénégal au classement RSF 2025, il dénonce un climat de répression économique, juridique et politique contre la presse privée. Entretien sans détour.

Le paradoxe du classement RSF 2025

Le 2 mai 2025, Reporters sans frontières (RSF) publiait son classement annuel sur la liberté de la presse. Le Sénégal gagne 20 places, passant de la 94e à la 74e position. Un bond salué par les nouvelles autorités, mais que Mamadou Ibra Kane, président du CDEPS, qualifie de trompe-l’œil. « La presse n’a jamais été aussi malmenée », rappelle-t-il, citant les fermetures arbitraires de médias, les arrestations de journalistes et la coupure de signaux audiovisuels survenus entre février et mars 2024.

Une répression devenue insidieuse

Selon Mamadou Ibra Kane, la violence directe contre les médias a cédé la place à une répression plus subtile mais tout aussi dangereuse. Le nouveau régime utiliserait désormais des leviers économiques et fiscaux pour affaiblir les entreprises de presse. Retards dans le paiement des dettes de l’État, blocage de l’aide à la presse pourtant budgétisée pour 2024, résiliation unilatérale des contrats de publicité par les structures publiques : autant de mesures qui, selon lui, visent à asphyxier la presse privée.

Une volonté politique de contrôle

Plus inquiétant encore, le président du CDEPS accuse le ministère de la Communication de s’arroger un pouvoir illégal : celui d’autoriser — ou non — l’exercice du journalisme au Sénégal. « C’est liberticide et en totale contradiction avec la Constitution », affirme-t-il. Il rappelle que le Code de la presse, révisé en 2009, introduit les notions de carte nationale de journaliste et d’ »entreprise de presse » sans jamais conditionner leur existence à une autorisation ministérielle.

L’assainissement, oui. L’autoritarisme, non.

Mamadou Ibra Kane se défend d’être opposé à une réforme du secteur. Il souligne que les professionnels eux-mêmes ont porté le projet d’assainissement via la régulation des accès au métier et la structuration des médias comme entreprises. Mais il distingue cette démarche d’un contrôle politique qui consisterait à choisir qui a le droit de publier. « Dans d’autres secteurs informels comme le bâtiment ou le transport, on n’interdit pas d’exercer malgré les défaillances. Pourquoi seulement la presse ? », s’interroge-t-il.

Pour une dépénalisation des délits de presse

Autre cheval de bataille du CDEPS : la dépénalisation des délits de presse. Pour Mamadou Ibra Kane, les condamnations pour diffusion de fausses nouvelles ou diffamation sont souvent utilisées pour museler la presse critique. « Il faut alléger la répression », dit-il, tout en précisant que cela ne signifie pas l’impunité : « Les tribunaux doivent juger les fautes, mais sans recourir systématiquement à la prison. »

Conclusion :
Mamadou Ibra Kane en appelle à une presse libre, indépendante et respectée dans ses droits fondamentaux. Pour lui, tant que l’exécutif s’arrogera le pouvoir de dire « qui est journaliste ou non », la liberté de la presse au Sénégal restera une illusion.

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