Chaque année, à l’occasion de Tamkharit — l’Achoura musulmane célébrée le 10e jour du mois de Muharram — les Sénégalais donnent libre cours à des pratiques culturelles ancrées, mêlant religion, traditions et fantaisie. Parmi les coutumes les plus originales figure le « Rérou Tamkharit », une mise en scène sociale devenue virale dans les foyers polygames : les deuxièmes épouses exigent de l’argent aux premières épouses.
Une coutume qui s’inspire de la rivalité… avec humour
Loin d’être une tension explosive, le « rérou » (du verbe wolof rëer, signifiant « réclamer » ou « exiger ») est souvent pris dans un esprit de légèreté. La deuxième épouse, parfois vêtue de manière extravagante pour l’occasion, se présente devant la première épouse pour lui réclamer « son droit » de Tamkharit, c’est-à-dire une somme d’argent symbolique ou un cadeau.
Cette scène, jouée avec exagération et moqueries théâtrales, repose sur un renversement des rôles : la première épouse, habituellement perçue comme celle qui « règne » dans le foyer, est interpellée de façon humoristique sur sa position. C’est une manière de désacraliser les tensions conjugales et de réaffirmer l’identité de la seconde épouse.
Entre satire et réalité sociale
Si l’acte prête à rire, il traduit aussi une réalité bien sénégalaise : la polygamie comme système social, avec ses codes, ses hiérarchies et ses stratégies. Le « rérou Tamkharit » devient une sorte de droit de parole temporaire pour la coépouse, qui, sous couvert de tradition, exprime sa présence et parfois même ses frustrations, dans une société où les secondes épouses peuvent se sentir marginalisées.
Des vidéos virales et une tradition en mutation
Ces dernières années, avec la montée en puissance des réseaux sociaux, des vidéos de scènes de rérou Tamkharit circulent abondamment, avec des dialogues pleins d’esprit, parfois piquants, souvent drôles, et toujours ancrés dans le réel. On y entend des phrases comme :
« (Toi qui étais là avant moi, il est temps que tu me payes !) »
« (Toi tu as la femme, moi j’ai l’animation du foyer !) »
Un espace de pouvoir symbolique féminin
Au-delà du folklore, le rérou Tamkharit est un rituel de pouvoir féminin. Il donne l’opportunité aux femmes de s’approprier la parole publique dans le cercle familial, de rire ensemble de ce que la société cache souvent : les jeux d’influence entre coépouses, les inégalités, les silences.
Le rérou Tamkharit est un parfait exemple de l’ingéniosité culturelle sénégalaise, qui transforme une situation potentiellement conflictuelle en théâtre social humoristique, mais porteur de messages. Sous le masque du rire, il met en lumière les dynamiques profondes de la vie conjugale au Sénégal, entre tradition, résistance douce et affirmation de soi.